Dans le rapport d'accident de la gendarmerie d'Ossun :
Mlle Amélie Menvielle, 21 ans,
ménagère à Loucrup, déclare :
"Le 15 juillet 1917, à 7 heures 19, j'ai pris le tramway qui part de Loucrup, à destination
de Lourdes. En quittant la station, le tramway est parti à une allure modérée, mais,
arrivé à 800 mètres environ, au lieu-dit "Bérié" (côte très rapide) la voiture a
pris une allure vertigineuse. Me trouvant derrière, sur la plate-forme, une panique
s'est produite parmi les voyageurs, et ils sont partis vers la portière qui se trouvait
ouverte, plusieurs personnes se sont bousculées. Voyant cela, je me suis cramponnée
à la rampe d'appui, mais les voyageurs sont tombés ; l'un d'eux, m'a entraînée et
je suis tombée sur le côté droit et ai même craché du sang. Je n'ai pu me relever
des minutes, car je souffrais et j'étais courbaturée. J'ai dû m'aliter 3 ou 4 jours,
et je n'ai pu me livrer à aucun travail de 8 jours. J'ai perdu mon sac à main, où
se trouvait une somme de 120 francs, un jeune homme qui était blessé aussi, m'a remis
le sac avec divers papiers, mais la somme n'a pas été retrouvée. Cet accident a produit
une fièvreuse angoisse parmi la population de Loucrup, le tramway n'ayant pu être
arrêté qu'après la station d'Orincles. Le conducteur a eu du sang froid, et n'a jamais
quitté son poste. La voie était très mauvaise à cause du brouillard. Je ne peux vous
dire qui a ouvert la portière."
M. Jean-Louis francès, 59 ans, propriétaire à Loucrup et faisant fonctions de Maire,
déclare :
"L'accident de tramway survenu dans la côte de Loucrup à Orincles, a produit une
forte impression parmi la population, surtout étant le premier accident de cette
nature, qui s'est produit dans cet endroit, depuis 4 ou 5 ans que le tramway fonctionne.
Si le tram avait déraillé, tous les voyageurs auraient certainement péri à cause
de la déclivité du terrain."
Mme Caussade, Jeanne, née Fosses, 36 ans, ménagère à Loucrup, déclare :
"Le 15 juillet courant, j'ai pris le tram qui part de la station de Loucrup, vers
7h09 à destination de Lourdes. En arrivant 800 mètres environ dans la côte au lieu-dit
"Bérié", j'ai remarqué que le tramway patinait sur place. Les voyageurs, au nombre
d'une trentaine se sont affolés, je me suis dirigée vers la portière qui était ouverte
et ai regardé ce qui se passait, je ne sais comment j'ai pu tomber, mais je crois
qu'on m'a poussée. Je suis mal tombée sur la route, car je n'ai pu me relever, j'ai
subi dans la chute une commotion générale de l'organisme et une contusion de la jambe
droite avec entorse. Je n'ai pu me retirer, étant enceinte de 8 mois, et on a dû
me porter à la maison. M. Candy, docteur à Bagnères-de-Bigorre qui se trouvait dans
le tram, m'a prodigué les premiers soins. Le soir-même, M. le docteur Vergez de Lourdes
est également venu me soigner et me donne encore des soins. Je garde le lit depuis
l'accident. J'ignore ce qui s'est passé ensuite, cinq voyageurs sont tombés dont
un autre de Loucrup. Vu la déclivité de la voie, tous les voyageurs se seraient tués,
si le tramway avait déraillé. Le conducteur Pujo a eu beaucoup de sang froid et n'a
cessé d'encourager les voyageurs. J'ignore qui a ouvert la portière."
Mlle Francès, Jeanne-Marie, 26 ans, ménagère à Loucrup, déclare :
"Le 15 juillet courant, vers 7h09, j'ai pris le tram à Loucrup à destination de Lourdes
; il est parti à allure modérée, mais arrivé à mi-côte, 800 mètres environ, au lieu-dit
"Bérié", il a patiné un peu sur place, puis, il a pris une allure vertigineuse, et
une fiévreuse angoisse s'est produite parmi les voyageurs au nombre d'une trentaine
environ. Cinq sont tombés ou ont sauté, je ne puis vous dire comment. Pendant cette
vitesse, les vitres du tramway ont sauté en éclats, ce qui a causé une forte impression
et s'il avait déraillé un grand malheur serait arrivé à cause du terrain très accidenté.
Le conducteur M. Pujo a eu beaucoup de sang froid et n'a jamais quitté son poste,
quant au contrôleur je ne puis dire ce qu'il faisait. Les rails étaient mouillés
par suite du brouillard qui tombait assez épais. Il ne s'est arrêté qu'à 200 mètres
dans la plaine d'Orincles, c'est à dire à une vingtaine de mètres de la station du
"Mérie". Là, tout le monde est descendu et j'ai fait demi-tour avec le docteur Candy
et M. Pujo, conducteur du tram, pour porter secours aux blessés. La plus atteinte
c'est Mme Caussade, qui a dû être transportée en voiture à son domicile, où elle
est alitée encore. L'émotion produite par cet accident m'a indisposée pendant 4 jours."
Mme Prat, Marie, née Echapu, 33 ans, en villégiature à Loucrup, déclare :
"De temps à autre, je remplace ma belle-soeur Ernestine Prat à la station qui se
trouve devant la maison. Le jour de l'accident, je n'étais pas présente et, j'ignore
si le conducteur a pris du sable pour le tram, ou s'il en avait dans le réservoir.
Ce que je sais, l'ingénieur de la voie, étant arrivé vers 9h30 avec une voiture de
tram sur les lieux de l'accident, et a pris du sable avant de descendre la côte,
il était accompagné d'un employé."
Mme Cassou, Marceline, née Moules, 44 ans, employée à la station d'Orincles, déclare
:
"Je ne sais rien de l'accident qui s'est produit le 15 juillet, dans le tram conduit
par M. Pujo, conducteur, ce qu'il y a il n'a pu arrêter la voiture lorsqu'elle est
passée devant la station où la ligne se trouve plate, et, n'a pu stopper qu'à vingt
mètres plus loin ; là tous les voyageurs sont descendus. M. l'ingénieur est venu
vers 9h30 se rendre compte de ce qui s'était passé."
Conclusion du rapport de police :
Des cinq voyageurs qui ont sauté, il y en a deux seulement qui habitent la commune
de Loucrup ; les trois étant des étrangers n'ont pu être entendus, et personne n'a
pu nous faire connaître leurs noms.
Les causes de l'accident, il n'y a que le conducteur
du tramway qui pourrait les faire connaître.
L'ingénieur Dutelin, s'est transporté
sur les lieux le même jour vers 9h30 ; pour se rendre compte de ce qui s'était passé.
L'impression
produite parmi les populations a été sur le moment très sensible, actuellement, l'émotion
causée par cet accident devient de plus en plus calme.
En foi de quoi, nous avons
rédigé le présent procès-verbal en deux expéditions destinées : la première à M.
le Préfet des Hautes-Pyrénées et la deuxième, au commandant d'arrondissement, conformément
à l'article 298 du décret du 20 mai 1903.
Fait
et clos à Ossun.